Cécile Le Talec
Oddity (David Bowie)
Cyanotype sur papier velin 75 x 75 cm
mars 2018
01/06 + 2A
Singulière expérimentatrice, Cécile Le Talec met en œuvre une plasticité « phonomorphique » par laquelle elle sculpte la musique, cisèle les vibrations et façonne la matière sonore. Dans son
travail, le visuel, l’haptique et l’auditif sont nivelés sur un même plan de sensibilité, là où leur résonance commune redistribue la carte du perceptible. L’artiste travaille au point de coïncidence de l’invisible et de l’inécoutable, mettant en place les moyens de les contrarier, de rendre sensible ce qu’ils occultent. Les angles morts, points aveugles du regard qui ne se découvrent qu’à la faveur d’un déplacement, constituent pour Cécile Le Talec des modèles d’illusion optique pour l’élaboration de ses dispositifs, au sein desquels le dynamisme se fait précisément condition
d’une révélation plastique. Chacune des pièces présente en effet une dimension kinésique durée de la vidéo, transcription graphique de mouvements, invitation à la marche, capture de forces physiques...) qui permet la genèse de formes tangibles au cœur de matériaux à première vue insaisissables.
Bien que sec et minimaliste, le style de Cécile Le Talec n’en est pas moins empreint d’un sensualisme onirique qui manifeste l’intérêt de l’artiste pour la poésie, pour le verbe porté par sa
forme prosodique – sa musicalité - au seuil de sa signification.
(…)
Celle qui partage son prénom avec la sainte patronne des musiciens travaille le son sous toutes ses formes, unifiées dans un univers aux allures d’utopie. Ainsi convoque-t-elle autant la biophonie animale et naturelle (grondements telluriques, remous aquatiques, sifflements du vent et des oiseaux...) que la musique instrumentale, vocale et électronique, jouant de leurs interactions, entre empiètements et parasitages. Ce principe de transversalité des sons s’applique également aux motifs plastiques, articulés les uns aux autres par un jeu de résonance symbolique. La couleur bleue qualifie aussi bien un fond vidéo qu’un paysage abyssal ou céleste, quand la forme pavillonnaire réalise la synthèse du biologique (la structure auriculaire), du physique (le tourbillon marin) et du technique (le disque vinyle, le phonographe), conférant à l’ensemble une cohérence conceptuelle d’une admirable justesse.
A son image, Cécile Le Talec propose en un un art résolument généreux et sincère. Invités à s’emparer de ses œuvres, en les touchant ou en les activant, les spectateurs deviennent dans les œuvres de véritables « corps conducteurs », au même titre que les Siffleurs qu’elle a rencontrés à travers le monde, engagés de concert dans l’écriture d’une partition esthétique en mouvement, aux multiples nuances tonales.
Florian Gaité, 2016
Chercheur en philosophie et critique d’art, membre de l’AICA, il est docteur en philosophie, diplômé du
SOPHIAPOL de l’université Paris Ouest Nanterre, et chercheur rattaché à l’Institut ACTE (Sorbonne Paris 1-
CNRS).